LE MULTILINGUISME ( plurilinguisme)
lunes, 5 de mayo de 2014
lunes, 21 de abril de 2014
CRITÈRES PÉDAGOGIQUES ET DIDACTIQUES POUR LA FERTILITÉ FORMATIVE DE L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES ÉTRANGÈRES

Nous visitons souvent des
écoles. Au cours de ces visites, nous avons souvent pu assister à des cours de
langue étrangère. Chaque fois, nous sommes témoins de stéréotypes classiques.
Les Français sont sensibles, fins et élégants. Les Allemands sont rigoureux,
méthodiques et ordonnés. Les Anglais sont courtois et ponctuels. Les Italiens
sont impulsifs et font de bons amants.
Les livres à partir
desquels les Argentins ont appris le français au cours de leur scolarisation
dans les établissements destinés à la formation des élites montraient le plan
de Paris, la vie quotidienne d’une famille parisienne et comment aller de l’Arc
de Triomphe à la Tour Eiffel. Les adultes qui parlent français ont lu Molière,
Balzac et d’autres classiques de la littérature française avant leurs dix-sept
ans. Mais ils n’ont jamais rien appris sur les invasions napoléoniennes, le
rôle de la France en Afrique - et encore moins en Amérique -, l’existence du
Québec et sa situation particulière dans la Confédération canadienne, la
trajectoire du nationalisme français et ses relations avec la politique
latino-américaine dans les années vingt, la question algérienne contemporaine
et les tensions sociales de l’après-guerre. Le français que l’on enseignait et
enseigne encore dans les collèges transpirait le stéréotype, la naphtaline, le
mensonge et le secret.
Quand les élites
voyagent en France, elles découvrent les différences entre les stéréotypes et
la réalité : il y a des Français cultivés – la minorité – et d’autres qui n’ont
jamais lu ni Molière ni Balzac ; la ville est à la fois dorée et grise ; dans
le métro, il y a beaucoup d’Arabes et d’Africains. Et, après tant d’années
d’études, ils ne savent même pas pourquoi.
La même chose, si ce
n’est pire, s’est produite avec l’anglais. Ce n’est ni Balzac ni Molière, mais
Shakespeare. Par contre, aujourd’hui dans la plupart des livres et des cours
pour les couches populaires, on enseigne un vocabulaire immédiatement
utilisable : tableau, gomme, maître, élève. Il est difficile d’évaluer si c’est
mieux.
En tout cas,
l’expérience des élites n’est pas la pire. Elles baragouinent dans les deux
langues des phrases curieuses où se mêlent des expressions empruntées au
vocabulaire du XVIIe siècle mais aussi du XXe siècle sur des thèmes propres à
la grande culture, inappropriés, pour mettre en évidence ce qui est bien en
France, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Elles n’ont pas aujourd’hui perdu
leur temps. Mais j’ai pu constater, alors que j’étais à la recherche de
solutions alternatives, que de nombreux jeunes issus d’établissements publics
d’enseignement ne savent, au terme d’au moins 240 heures d’apprentissage d’une
langue étrangère, au cours des trois ou quatre ans de collège, ni répondre au
téléphone, ni dire au revoir.
Il y a sûrement beaucoup
d’explications à donner qui mettent en évidence les mauvaises conditions
d’enseignement dans un certain nombre d’établissements et, surtout, dans les
établissements publics destinés aux couches populaires des pays
latino-américains. De mauvaises conditions d’enseignement sont à l’origine des
problèmes détectés ainsi que d’autres problèmes encore plus graves. On peut
parler d’un modèle d’établissement éducatif balkanisé et rigide dans lequel il
y a peu, ou pas du tout, de matériel pédagogique à la disposition des enseignants,
des salaires de misère et une formation médiocre du corps enseignant. Cependant
il est possible qu’il y ait aussi des choses à revoir dans la sélection des
contenus et dans la manière d’enseigner.
J’essaierai de présenter
quatre critères qui permettent de faire de l’enseignement des langues
étrangères à l’école l’instrument d’une politique éducative pour la promotion
du plurilinguisme, comme une stratégie pour la citoyenneté et non comme une
représentation théâtrale du temps perdu ou l’acquisition d’un vernis pour
montrer qu’on est « de la haute », qu’on a de la « distinction ».
D’abord, à travers
l’apprentissage d’une langue étrangère, les enfants et les jeunes peuvent
découvrir que dans le monde il y a d’autres personnes qui parlent, sentent, pensent
et agissent différemment. Il s’agit de faire découvrir aux enfants et aux
jeunes que ces « autres » ne sont pas des stéréotypes de personnes tout à fait
bonnes ou tout à fait mauvaises, et qu’ils ne font pas partie d’un ensemble
homogène, charmant et épargné de tout confit. Ces « autres » sont des êtres
humains en constante interaction, avec leurs productions sociales,
artificielles et symboliques. Ils font partie d’une culture avec ses grandeurs
et ses décadences. Et cette culture change de sens selon la lorgnette à travers
laquelle on la regarde ou l’endroit à partir duquel on l’observe. Mais, par
ailleurs, les enfants et les jeunes apprennent une langue en tant qu’enfants ou
jeunes. Ils ne l’apprennent pas comme adultes. Ils font partie d’une communauté
et de ce marché globalisé.
C’est pour cette raison
que le second critère est que les enfants et les jeunes puissent retrouver dans
les autres des éléments de leur moi, de leur moi tel qu’il est vraiment.
S’interroge-t-on, quand on enseigne les langues étrangères, sur le sens que
revêt ce que l’on propose de lire ou de raconter pour ceux que l’on place dans
cette situation ? Proposons-nous des contenus sur l’éclatement des familles, la
drogue, l’oisiveté et la construction de l’identité sexuelle des jeunes dont
nous étudions la langue ? Parlons-nous des conflits résultant des inégalités,
de la crise de la représentativité que traversent la politique et les
institutions, de la violence de l’état, de la guerre, des nouvelles
manifestations religieuses ? Autrement dit, proposons-nous des contenus qui
aident l’enfant ou le jeune pendant son apprentissage de la langue étrangère à
rencontrer l’autre ?
Enfin, facilitons-nous
la construction d’un « nous » multilingue et pardessus tout multiculturel et
divers à la fois ? A certains niveaux on sait que tout ce qui se passe
actuellement dans le monde a quelque chose à voir avec autre chose qui a lieu à
des milliers de kilomètres de là. Ainsi le troisième critère est que
l’enseignement des langues étrangères fait partie d’une quête d’un « nous » qui
dépasse le champ de la communauté de résidence et de référence et qui permet de
répersonnaliser le contexte global unilatéralement représenté et vécu comme un
marché. Il y a des « autres » égaux mais différents. Proposons-nous comme des
contenus les techniques communautaires pour faire des recherches comparatives :
« vivre à côté de et tolérer », « lutter contre » ou/et « vivre à côté de et
tolérer » ?
Ce que j’ai exposé
jusqu’à présent est étroitement lié au choix des thèmes et des problèmes de
conversation. Parce qu’à mon avis l’enseignement d’une langue étrangère devrait
être avant tout ceci : une grande opportunité de dialogue. Et ceci correspond
au quatrième critère : l’enseignement d’une langue étrangère entendue comme une
grande opportunité de dialogue passe par la capacité de combiner la mémoire, la
raison, le plaisir et l’émotion, afin qu’il y ait en même temps une formation
rigoureuse et un espace réservé à la recréation à travers la création des
éléments de la propre culture communautaire et nationale et des cultures des
langues apprises.
C’est seulement de cette
manière que l’enseignement des langues étrangères sera plus efficace et
atteindra ces objectifs qui valent vraiment la peine : rencontrer l’autre, nous
retrouver dans l’autre et nous rencontrer tous dans un monde qui de cette
manière aura plus de chance - mais hélas point la garantie - d’être plus
pacifique et, en même temps, plus équitable et plus divers. Si l’on peut
montrer et démontrer cela, peut être aura-t-on la chance de maintenir et
d’approfondir les contenus de plusieurs langues nationales dans les écoles des
différents pays pour développer la compétence d’être plurilingue. Parce qu’être
plurilingue est l’une des conditions au développement du droit à une vraie
citoyenneté, c’est-à-dire à une citoyenneté à quatre niveaux : communauté,
nation, échanges entres les nations, dans le monde globalisé.
LE PLURILINGUISME ET LES INEGALITES ENTRE LES PAYS

Nous vivons dans un
monde où les inégalités augmentent et, dans ces conditions, les langues
nationales autres que l’anglais tendent dans la majorité des pays, en
particulier en Amérique latine, à être confinées dans le rôle de reproduction
des avantages comparatifs préexistants ou de la consommation somptuaire en
apparence.
En Europe, il y a des
pays où les langues étrangères nationales occupent dans l’enseignement
secondaire entre 17 et 26 % du temps scolaire (Pays-Bas, Allemagne). Dans
quelques uns, les contenus des langues étrangères nationales prennent plus de
temps que les contenus de mathématiques et de sciences. Mais en Amérique
latine, seuls 8 à 9 % du temps scolaire sont consacrés à l’enseignement des
langues étrangères. La différence est beaucoup plus importante qu’il n’y paraît
parce que le temps total disponible est très différent. À la fin de neuf années
de scolarisation, les jeunes d’Argentine ou du Mexique ont eu 6 580 ou 6 600
heures de classe ; en Allemagne 7 080 heures ; en France 8 400 et aux Pays-Bas
9 700.
Le manque de temps
scolaire, la pression des communautés et les difficultés à créer des
alternatives par l’utilisation des nouvelles technologies conduisent les pays
vers le bilinguisme pauvre. En Argentine, par exemple la population est de 35
millions d’habitants. Les communautés indiennes comptent près de 300 000
personnes. Ces dernières ont demandé et obtenu, pour la première fois, la
possibilité d’apprendre leurs langues à l’école : le wichi, le Toba, l’araucan
et le mapuche.
Parallèlement la plus
importante province du pays a décidé, pour l’enseignement des langues
étrangères, de n’autoriser et de ne financer dans les écoles publiques que
l’anglais. Les autorités ont décidé de « recycler » les professeurs de français
et d’italien et de leur faire enseigner l’espagnol. Un long processus de
consensus a été nécessaire entre les ministères de l’Éducation des vingt-quatre
provinces du pays pour éviter la généralisation de cette politique dans tous le
pays. Les négociations ont conduit au postulat suivant : tout le monde doit
avoir la chance d’apprendre à l’école trois niveaux de 240 heures d’une langue
autre que la langue nationale. L’un de ces niveaux doit être l’anglais pour la
communication internationale ; les autres peuvent être les langues indigènes,
ou bien un approfondissement de l’anglais, ou bien encore d’autres langues
étrangères dont le choix ne se limiterait pas au français ou à l’italien comme
dans le passé.
La politique menée par
la province en question était liée aux élections : selon les sondages, les
électeurs attendaient de l’école qu’elle se concentre sur un enseignement «
anglais et informatique ». Pas de sciences, pas de plurilinguisme, pas de
sports, pas d’arts. Pourquoi ? Les raisons sont nombreuses, je n’en reprendrai
qu’une : le problème de modèle pédagogique d’enseignement des langues
étrangères dans les écoles secondaires.
LE PLURILINGUISME COMME UNE OPPORTUNITE POUR FAIRE REALISER LE DROIT DE VIVRE ENSEMBLE

Un des premiers droits
des hommes et des femmes est de vivre ensemble. Et pour vivre ensemble, la paix
est une priorité. Nous vivons dans un monde de guerre. Mais le pire, c’est que
nous n’en avons même pas conscience. Presque tous les jours, les journaux font
état d’une violation de frontières, de crimes commis par une guérilla, de
l’oppression ou du soulèvement d’une minorité. Beaucoup de guerres sont le
résultat de la survivance de conflits et de tensions demeurés latents durant
des décennies. D’autres s’expliquent par les particularités du contexte
international actuel. La première catégorie de guerre est à mettre en relation
avec l’émergence du communautarisme. Dans la seconde catégorie, certaines
guerres sont la conséquence du renforcement d’un monde soi-disant unifié, «
globalisé ». En tout cas, en toile de fond de toutes les guerres se trouve
l’absence de reconnaissance de l’autre comme un sujet qui a le droit de vivre
et de se développer, d’un autre avec lequel on peut vivre ensemble. De plus en
plus, nous sommes face à un monde perçu à la fois comme unitaire et fragmenté,
désagrégé, fait de groupes humains aux identités multiples qui s’épanouissent
parallèlement et aspirent à la « tolérance » plutôt qu’à la reconnaissance de
l’autre et donc à l’enrichissement mutuel.
On assiste à une refonte
de l’État. Beaucoup s’affaiblissent selon des processus très variés. Parmi
ceux-là quelques-uns se divisent, d’autres se réunifient. D’autres commencent à
envisager des formes inédites de réorganisation territoriale, comme la Colombie
qui transforme les groupes guérilleros en coadministrateurs de la chose
publique. D’autres encore choisissent des alternatives moins déchirantes, mais
dont l’impact est tout aussi fort. L’Espagne assume avec ferveur le rôle
politique des provinces autonomes ainsi que le droit de ses peuples à enseigner
et étudier dans leur propre langue alors que pendant des années celles-ci ont
été oubliées et se sont appauvries : le basque, le catalan ou le galicien. Dans
la plupart de ces cas, le processus de construction de l’identité individuelle
fait intervenir la référence à la communauté. Parfois, dans ce processus, la
communauté semble même être le référent unique, privilégié, voire exclusif, de
construction de cette identité.
Si nous envisagions
cette tendance à l’extrême et, dans un grand nombre de pays, nous pourrions
aller jusqu’à hasarder que, pour préserver l’unité, on peut en arriver à ne
garder que l’anglais. Non pas l’anglais comme moyen d’accéder aux traditions
politiques ou aux manifestations culturelles des peuples qui l’ont construit,
ni comme moyen de renforcer la capacité de compréhension de leur propre syntaxe
communicative par comparaison avec d’autres, mais l’anglais de la raison
instrumentale dissocié de tout processus de subjectivisation. L’anglais du marché
international, de l’expression de quelques formes dynamiques de production de
connaissance dans quelques domaines clés.
La défense du droit à
l’identité communautaire, d’une part, et la présence de l’économie et de la
technologie globales comme forces dominantes avec leurs lois et leurs règles
propres, d’autre part, agissent dans certains pays comme une tenaille qui
pousse vers la configuration d’un modèle de promotion d’un bilinguisme orienté
vers la reconnaissance et l’approfondissement de l’apprentissage à la fois
d’une langue communautaire et d’une langue instrumentale ; parfois en
conquérant une partie de l’espace curriculaire auparavant fortement consacré à
l’enseignement de la seule langue ou d’une deuxième langue nationale.
Les deux bras de la
tenaille ne sont pas eux-mêmes contestables. Après des années d’acculturation
des peuples indigènes d’Amérique latine et de progrès certains qui démontrent
que l’accès aux formes supérieures de la pensée et à la langue nationale est
facilité s’il passe par la langue maternelle, il serait réducteur de postuler
l’abandon des efforts des autorités publiques qui prétendent octroyer aux
langues vernaculaires une place dans le système scolaire. Et face à l’existence
incontestable d’une économie et d’une technologie globalisées, il serait en
même temps suicidaire de suggérer que l’on puisse refuser à des enfants et des
jeunes du XXe siècle la possibilité d’apprendre l’anglais pour la communication
internationale.
Par conséquent, la
question qu’il convient de se poser est de savoir si une politique orientée
volontairement ou par défaut vers la promotion du bilinguisme, tel que je l’ai
exposé ci-dessus, est ce qui convient de mieux pour réaliser les droits des
femmes et des hommes. Ma réponse est non. Parce que le bilinguisme vers lequel
s’orientent plus ou moins consciemment les politiques éducatives de nombreux
pays renforce une double dépendance de la tradition communautaire, du marché et
des techniques qui autorise seulement l’épanouissement des producteurs et des
consommateurs et non pas le développement complet des citoyens.
Cette double dépendance
empêche, ou tout du moins limite, la possibilité de transformer ce monde de
guerres et d’inégalités en un monde de paix. Avec le bilinguisme des langues
communautaires et de l’anglais du marché et de la technique, les seules choses
communicables seraient les règles de production et de circulation des biens du
capital et de l’information. Mais pas la multiplicité des expériences vécues
dans la diversité des cultures existantes. Pas les sentiments et les émotions
des autres communautés. Pas les pratiques d’organisation collective envisagées
depuis une multitude de perspectives. Pas les formes et les limites des
réalisations des droits des hommes et des femmes dans des conditions
différentes.
C’est pour cela qu’il
paraît nécessaire de plaider en faveur de la permanence et de
l’approfondissement des politiques publiques qui œuvrent pour la promotion du
multilinguisme, c’est-à-dire pour la promotion de la présence d’une
multiplicité de langues dans le cadre des contenus de l’éducation. Il s’agit
donc de promouvoir le multilinguisme comme affirmation humaniste. Dans ce
multilinguisme, il s’agit aussi de concevoir l’enseignement des langues
nationales, non pas contre l’enseignement des langues communautaires ou de
l’anglais, mais comme une stratégie qui permette aux individus de disposer de
davantage de moyens pour créer des passerelles entre les communautés et la
culture mondiale et pour livrer les batailles internes contre le mépris des
autres, qu’ils soient étrangers ou simplement différents au sein d’un même pays.
LES FINALITES DU PLURILINGUISME

Le plurilinguisme dans
son acception large, le multilinguisme, est une tentative de réhabilitation de
la dimension culturelle du développement. Il est un outil de démocratisation
des relations internationales, et des relations intranationales, et constitue à
ce titre une force mondiale, tant il est vrai que le débat sur la domination
culturelle de l'Occident dans le monde ne pourra être tranché sans une
participation offensive et positive au dialogue mondial de toutes les cultures
dans toutes les langues, en tirant parti des possibilités offertes par les
technologies nouvelles. Mais pour créer les courants d'échanges indispensables
entre pays et valoriser les complémentarités il est nécessaire de revenir à une
acception étroite du terme, et promouvoir un plurilinguisme institutionnel
limité à plusieurs grandes langues de communication internationale pour éviter
les dérives d'un monolinguisme raboteur.
Le plurilinguisme
individuel doit être encouragé mais il ne doit pas servir à pallier les
carences du plurilinguisme institutionnel. S'il est bon que tous les citoyens
des pays du monde soient exposés dès leur jeune âge à une vaste gamme de sons
et de graphies appartenant à différentes langues du monde et qui en font sa
richesse, il est clair que l'État ne peut se contenter d'encourager ses
citoyens à apprendre deux voire plusieurs langues. Savoir plusieurs langues ne
garantit pas que l'on ait quelque chose à dire dans chacune d'entre elles, ni
que l'on puisse l'énoncer clairement. La notion de langue pivot ou de langue
principale est à préserver et à cultiver au même titre que la connaissance plus
passive d'autres langues. Il n'existe pas de limites au multilinguisme pour le
cerveau humain, qui peut parvenir à se débrouiller dans plusieurs dizaines de
langues, mais la connaissance en profondeur d'une langue est nécessaire et elle
exige un travail de distanciation. Les parfaits bilingues, et a fortiori les
parfaits trilingues et les parfaits plurilingues, n'existent pas.
Le plurilinguisme
individuel ne doit pas être créateur d'une société à plusieurs vitesses: d'un
côté riches en langues et de l'autre
pauvres en langues, et entre les deux toute une gamme de
semi-connaisseurs de deux ou de plusieurs langues. La politique en faveur du
plurilinguisme, utile pour les futures élites, reste encore peu motivante au
niveau des masses (au sein desquelles, même en Europe, le nombre des illettrés
reste remarquable).
*Penser le
plurilinguisme+ doit dès lors conduire à l'appréhender dans sa totalité :
rappeler qu'il n'y a pas de démocratie sans réflexion sur le droit de
communiquer dans la langue de son choix (ce qui se traduit par des droits et
des devoirs tant au niveau individuel qu'au niveau institutionnel), développer
des connaissances pour garder ses distances à l'égard des promesses du
monolinguisme et du multilinguisme, mais aussi du plurilinguisme et du
bilinguisme mal compris, et éviter ainsi d'être le jeu des intérêts et des
idéologies. C'est aussi éviter la soumission totale à l'anglais. Or force est de
constater que les francophones, et notamment les élites françaises, ne sont pas
prêts à reconnaître pour telle l'illusion qui consiste à croire qu'il est
possible d'endiguer l'anglais, sans contester son rang de lingua franca
universelle : plus ils auront recours à l'anglais et délaisseront le français
et les autres langues, plus la fonction instrumentale de la langue anglaise
sera renforcée. Or c'est justement cette *fonction instrumentale+ qui est la
cause de son succès et de la disparition concomitante des autres langues. Le
bilinguisme anglais-français conduit au monolinguisme anglais. Le
plurilinguisme institutionnel dans les échanges internationaux introduit de
nouvelles règles du jeu et a un effet protecteur des langues.
PLURILINGUISME ET MULTILINGUISME
"Ces dernières
années, le concept de plurilinguisme a pris de l’importance dans l’approche
qu’a le Conseil de l’Europe de l’apprentissage des langues. On distingue le «
plurilinguisme » du « multilinguisme » qui est la connaissance d’un certain
nombre de langues ou la coexistence de langues différentes dans une société
donnée. On peut arriver au multilinguisme simplement en diversifiant l’offre de
langues dans une école ou un système éducatif donnés, ou en encourageant les
élèves à étudier plus d’une langue étrangère, ou en réduisant la place
dominante de l’anglais dans la communication internationale.
Bien au-delà,l’approche
plurilingue met l’accent sur le fait que, au fur et à mesure que l’expérience
langagière d’un individu dans son contexte culturel s’étend de la langue
familiale à celle du groupe social puis à celle d’autres groupes (que ce soit
par apprentissage scolaire ou sur le tas), il/elle ne classe pas ces langues et
ces cultures dans des compartiments séparés mais construit plutôt une
compétence communicative à laquelle contribuent toute connaissance et toute
expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation et
interagissent.
Dans des situations différentes, un locuteur
peut faire appel avec souplesse aux différentes parties de cette compétence
pour entrer efficacement en communication avec un interlocuteur donné. Des
partenaires peuvent, par exemple, passer d’une langue ou d’un dialecte à
l’autre, chacun exploitant la capacité de l’un et de l’autre pour s’exprimer
dans une langue et comprendre l’autre. D’aucun peut faire appel à sa
connaissance de différentes langues pour comprendre un texte écrit, voire oral,
dans une langue a priori « inconnue », en reconnaissant des mots déguisés mais
appartenant à un stock international commun.
Ceux qui ont une connaissance, même faible,
peuvent aider ceux qui n’en ont aucune à communiquer par la médiation entre
individus qui n’ont aucune langue en commun. En l’absence d’un médiateur, ces
personnes peuvent toutefois parvenir à un certain niveau de communication en
mettant en jeu tout leur outillage langagier, en essayant des expressions
possibles en différents dialectes ou langues, en exploitant le paralinguistique
(mimique, geste, mime, etc.) et en simplifiant radicalement leur usage de la langue.
De ce point de vue, le
but de l’enseignement des langues se trouve profondément modifié. Il ne s’agit
plus simplement d’acquérir la « maîtrise » d’une, deux, voire même trois
langues, chacune de son côté, avec le « locuteur natif idéal » comme ultime modèle.
Le but est de développer un répertoire langagier dans lequel toutes les
capacités linguistiques trouvent leur place."
POLITIQUE LINGUISTIQUE EDUCATIVE DU CONSEIL DE L’EUROPE

Le Conseil de l’Europe
mène ses activités de promotion de la diversité linguistique et de
l’apprentissage des langues dans le domaine de l’éducation dans le cadre de la
Convention culturelle européenne, ouverte à la signature le 19 décembre 1954.
L’article 2 de cette
Convention appelle les états signataires à promouvoir l’enseignement et
l’apprentissage de leurs langues réciproques.
Chaque Partie
contractante, dans la mesure du possible,
a. encouragera chez ses
nationaux l'étude des langues, de l'histoire et de la civilisation des autres
Parties contractantes, et offrira à ces dernières sur son territoire des
facilités en vue de développer semblables études, et
b. s'efforcera de
développer l'étude de sa langue ou de ses langues, de son histoire et de sa civilisation
sur le territoire des autres Parties contractantes et d'offrir aux nationaux de
ces dernières la possibilité de poursuivre semblables études sur son
territoire.
C’est dans l’esprit de
cet article, et en réponse aux évolutions des besoins et des priorités des
Etats membres, que se développent, sur cinq décennies, les activités du Conseil
de l’Europe dans le domaine de la politique linguistique éducative. Le Conseil
promeut des politiques visant à renforcer la diversité et les droits linguistiques,
approfondir la compréhension mutuelle, consolider la citoyenneté démocratique
et maintenir la cohésion sociale.
Les politiques linguistiques du Conseil de l’Europe ont
pour objectif de promouvoir :
· LE PLURILINGUISME : tous les citoyens européens ont le droit
d’acquérir un niveau de compétence communicative dans plusieurs langues, et ce,
tout au long de leur vie, en fonction de leurs besoins
· LA DIVERSITE LINGUISTIQUE : L’Europe est un continent multilingue
et toutes ses langues ont la même valeur en tant que moyens de communication et
d’expression d’une identité. Les Conventions du Conseil de l’Europe
garantissent le droit d’utiliser et d’apprendre des langues
· LA COMPREHENSION MUTUELLE : La communication interculturelle et
l’acceptation des différences culturelles reposent fortement sur la possibilité
d’apprendre d’autres langues
· LA CITOYENNETE DEMOCRATIQUE : la participation aux processus
démocratique et social dans des sociétés multilingues est facilitée par la
compétence plurilingue de chaque citoyen
· LA COHESION SOCIALE : l’égalité des chances en matière de
développement personnel, d’éducation, d’emploi, de mobilité, d’accès à
l’information et d’enrichissement culturel dépend de la possibilité d’apprendre
des langues tout au long de la vie
Des politiques en faveur
du plurilinguisme
L’approche initiale des
projets du Conseil de l’Europe, consistant à encourager l’acquisition d’un bon
niveau de compétences communicatives, était motivée par la multiplication des
possibilités d’interaction et de mobilité en Europe. Cette approche reste
d’actualité. Toutefois, la mondialisation et l’internationalisation posent de
nouveaux défis du point de vue de la cohésion sociale et de l’intégration. Si
les compétences linguistiques des citoyens restent un critère important en
matière d’emploi et de mobilité, elles sont également nécessaires pour
participer activement aux processus social et politique, qui font partie
intégrante de la citoyenneté démocratique dans les sociétés multilingues des
Etats membres du Conseil de l’Europe.
Cet intérêt croissant
pour des politiques linguistiques visant à renforcer la citoyenneté
démocratique et la cohésion sociale traduit bien la priorité que le Conseil de
l’Europe accorde à l’éducation pour la citoyenneté et le dialogue interculturel
au XXIème siècle. Il se retrouve dans le domaine de l’éducation, dont
l’objectif est de former des citoyens plurilingues et interculturels, capables
d’interagir dans plusieurs langues, au-delà des frontières linguistiques et
culturelles.
- le «multilinguisme» renvoie à la présence, dans une zone
géographique déterminée – quelle que soit sa taille – à plus d’une «variété de
langues», c’est-à-dire de façons de parler d’un groupe social, que celles-ci
soient officiellement reconnues en tant que langues ou non. À l’intérieur d’une
telle zone géographique, chaque individu peut être monolingue et ne parler que
sa propre variété de langue ;
- le «plurilinguisme» se rapporte au répertoire de langues utilisées
par un individu ; il est donc, en un sens, le contraire du multilinguisme. Ce
répertoire englobe la variété de langue considérée comme «langue maternelle» ou
«première langue», ainsi que toute autre langue ou variété de langue, dont le
nombre peut être illimité. Ainsi, certaines zones géographiques multilingues
peuvent être peuplées à la fois de personnes monolingues et de personnes
plurilingues.
Le Conseil de l’Europe
accorde une importance particulière au développement du plurilinguisme,
c’est-à-dire à l’enrichissement du répertoire plurilingue d’une personne tout
au long de la vie. Ce répertoire, composé de plusieurs langues ou variétés de
langues maîtrisées à différents niveaux, fait appel à plusieurs types de
compétences. Il est dynamique et évolue tout au long de la vie de la personne.
L’utilisation et le
développement des compétences plurilingues sont possibles car une personne
n’apprend pas chaque langue séparément ; elle peut subir l’influence de
différentes langues dans le processus d’apprentissage ou lors de leur
utilisation en situation de communication. Les systèmes d’éducation doivent
garantir un développement harmonieux des compétences plurilingues des
apprenants grâce à une approche cohérente, transversale et intégrée, prenant en
compte toutes les langues du répertoire d’un apprenant plurilingue, ainsi que
leurs fonctions respectives. Cette démarche doit donc encourager la prise de
conscience, chez les apprenants, de leurs répertoires existants et de leur
capacité à développer et à modifier ces répertoires en fonction des circonstances.
Une personne plurilingue possède :
- un répertoire de
langues et de variétés linguistiques
- des compétences de
nature et de niveau différents selon les langues
L’éducation plurilingue encourage :
- la prise de conscience
du pourquoi et du comment on apprend les langues choisies
- la prise de conscience
de compétences transposables et la capacité à les réutiliser dans
l’apprentissage des langues
- le respect du
plurilinguisme d’autrui et la reconnaissance des langues et de leurs variétés,
quelle que soit l’image qu’elles ont dans la société
- le respect des
cultures inhérentes aux langues et de l’identité culturelle d’autrui
- la capacité à
percevoir et à assurer le lien entre les langues et les cultures
- une approche globale intégrée de l’éducation
linguistique dans les curricula
Suscribirse a:
Entradas (Atom)