lunes, 21 de abril de 2014

CRITÈRES PÉDAGOGIQUES ET DIDACTIQUES POUR LA FERTILITÉ FORMATIVE DE L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES ÉTRANGÈRES


Nous visitons souvent des écoles. Au cours de ces visites, nous avons souvent pu assister à des cours de langue étrangère. Chaque fois, nous sommes témoins de stéréotypes classiques. Les Français sont sensibles, fins et élégants. Les Allemands sont rigoureux, méthodiques et ordonnés. Les Anglais sont courtois et ponctuels. Les Italiens sont impulsifs et font de bons amants.

Les livres à partir desquels les Argentins ont appris le français au cours de leur scolarisation dans les établissements destinés à la formation des élites montraient le plan de Paris, la vie quotidienne d’une famille parisienne et comment aller de l’Arc de Triomphe à la Tour Eiffel. Les adultes qui parlent français ont lu Molière, Balzac et d’autres classiques de la littérature française avant leurs dix-sept ans. Mais ils n’ont jamais rien appris sur les invasions napoléoniennes, le rôle de la France en Afrique - et encore moins en Amérique -, l’existence du Québec et sa situation particulière dans la Confédération canadienne, la trajectoire du nationalisme français et ses relations avec la politique latino-américaine dans les années vingt, la question algérienne contemporaine et les tensions sociales de l’après-guerre. Le français que l’on enseignait et enseigne encore dans les collèges transpirait le stéréotype, la naphtaline, le mensonge et le secret.

Quand les élites voyagent en France, elles découvrent les différences entre les stéréotypes et la réalité : il y a des Français cultivés – la minorité – et d’autres qui n’ont jamais lu ni Molière ni Balzac ; la ville est à la fois dorée et grise ; dans le métro, il y a beaucoup d’Arabes et d’Africains. Et, après tant d’années d’études, ils ne savent même pas pourquoi.

La même chose, si ce n’est pire, s’est produite avec l’anglais. Ce n’est ni Balzac ni Molière, mais Shakespeare. Par contre, aujourd’hui dans la plupart des livres et des cours pour les couches populaires, on enseigne un vocabulaire immédiatement utilisable : tableau, gomme, maître, élève. Il est difficile d’évaluer si c’est mieux.

En tout cas, l’expérience des élites n’est pas la pire. Elles baragouinent dans les deux langues des phrases curieuses où se mêlent des expressions empruntées au vocabulaire du XVIIe siècle mais aussi du XXe siècle sur des thèmes propres à la grande culture, inappropriés, pour mettre en évidence ce qui est bien en France, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Elles n’ont pas aujourd’hui perdu leur temps. Mais j’ai pu constater, alors que j’étais à la recherche de solutions alternatives, que de nombreux jeunes issus d’établissements publics d’enseignement ne savent, au terme d’au moins 240 heures d’apprentissage d’une langue étrangère, au cours des trois ou quatre ans de collège, ni répondre au téléphone, ni dire au revoir.

Il y a sûrement beaucoup d’explications à donner qui mettent en évidence les mauvaises conditions d’enseignement dans un certain nombre d’établissements et, surtout, dans les établissements publics destinés aux couches populaires des pays latino-américains. De mauvaises conditions d’enseignement sont à l’origine des problèmes détectés ainsi que d’autres problèmes encore plus graves. On peut parler d’un modèle d’établissement éducatif balkanisé et rigide dans lequel il y a peu, ou pas du tout, de matériel pédagogique à la disposition des enseignants, des salaires de misère et une formation médiocre du corps enseignant. Cependant il est possible qu’il y ait aussi des choses à revoir dans la sélection des contenus et dans la manière d’enseigner.

J’essaierai de présenter quatre critères qui permettent de faire de l’enseignement des langues étrangères à l’école l’instrument d’une politique éducative pour la promotion du plurilinguisme, comme une stratégie pour la citoyenneté et non comme une représentation théâtrale du temps perdu ou l’acquisition d’un vernis pour montrer qu’on est « de la haute », qu’on a de la « distinction ».

D’abord, à travers l’apprentissage d’une langue étrangère, les enfants et les jeunes peuvent découvrir que dans le monde il y a d’autres personnes qui parlent, sentent, pensent et agissent différemment. Il s’agit de faire découvrir aux enfants et aux jeunes que ces « autres » ne sont pas des stéréotypes de personnes tout à fait bonnes ou tout à fait mauvaises, et qu’ils ne font pas partie d’un ensemble homogène, charmant et épargné de tout confit. Ces « autres » sont des êtres humains en constante interaction, avec leurs productions sociales, artificielles et symboliques. Ils font partie d’une culture avec ses grandeurs et ses décadences. Et cette culture change de sens selon la lorgnette à travers laquelle on la regarde ou l’endroit à partir duquel on l’observe. Mais, par ailleurs, les enfants et les jeunes apprennent une langue en tant qu’enfants ou jeunes. Ils ne l’apprennent pas comme adultes. Ils font partie d’une communauté et de ce marché globalisé.

C’est pour cette raison que le second critère est que les enfants et les jeunes puissent retrouver dans les autres des éléments de leur moi, de leur moi tel qu’il est vraiment. S’interroge-t-on, quand on enseigne les langues étrangères, sur le sens que revêt ce que l’on propose de lire ou de raconter pour ceux que l’on place dans cette situation ? Proposons-nous des contenus sur l’éclatement des familles, la drogue, l’oisiveté et la construction de l’identité sexuelle des jeunes dont nous étudions la langue ? Parlons-nous des conflits résultant des inégalités, de la crise de la représentativité que traversent la politique et les institutions, de la violence de l’état, de la guerre, des nouvelles manifestations religieuses ? Autrement dit, proposons-nous des contenus qui aident l’enfant ou le jeune pendant son apprentissage de la langue étrangère à rencontrer l’autre ?

Enfin, facilitons-nous la construction d’un « nous » multilingue et pardessus tout multiculturel et divers à la fois ? A certains niveaux on sait que tout ce qui se passe actuellement dans le monde a quelque chose à voir avec autre chose qui a lieu à des milliers de kilomètres de là. Ainsi le troisième critère est que l’enseignement des langues étrangères fait partie d’une quête d’un « nous » qui dépasse le champ de la communauté de résidence et de référence et qui permet de répersonnaliser le contexte global unilatéralement représenté et vécu comme un marché. Il y a des « autres » égaux mais différents. Proposons-nous comme des contenus les techniques communautaires pour faire des recherches comparatives : « vivre à côté de et tolérer », « lutter contre » ou/et « vivre à côté de et tolérer » ?

Ce que j’ai exposé jusqu’à présent est étroitement lié au choix des thèmes et des problèmes de conversation. Parce qu’à mon avis l’enseignement d’une langue étrangère devrait être avant tout ceci : une grande opportunité de dialogue. Et ceci correspond au quatrième critère : l’enseignement d’une langue étrangère entendue comme une grande opportunité de dialogue passe par la capacité de combiner la mémoire, la raison, le plaisir et l’émotion, afin qu’il y ait en même temps une formation rigoureuse et un espace réservé à la recréation à travers la création des éléments de la propre culture communautaire et nationale et des cultures des langues apprises.


C’est seulement de cette manière que l’enseignement des langues étrangères sera plus efficace et atteindra ces objectifs qui valent vraiment la peine : rencontrer l’autre, nous retrouver dans l’autre et nous rencontrer tous dans un monde qui de cette manière aura plus de chance - mais hélas point la garantie - d’être plus pacifique et, en même temps, plus équitable et plus divers. Si l’on peut montrer et démontrer cela, peut être aura-t-on la chance de maintenir et d’approfondir les contenus de plusieurs langues nationales dans les écoles des différents pays pour développer la compétence d’être plurilingue. Parce qu’être plurilingue est l’une des conditions au développement du droit à une vraie citoyenneté, c’est-à-dire à une citoyenneté à quatre niveaux : communauté, nation, échanges entres les nations, dans le monde globalisé.

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