
Le plurilinguisme dans
son acception large, le multilinguisme, est une tentative de réhabilitation de
la dimension culturelle du développement. Il est un outil de démocratisation
des relations internationales, et des relations intranationales, et constitue à
ce titre une force mondiale, tant il est vrai que le débat sur la domination
culturelle de l'Occident dans le monde ne pourra être tranché sans une
participation offensive et positive au dialogue mondial de toutes les cultures
dans toutes les langues, en tirant parti des possibilités offertes par les
technologies nouvelles. Mais pour créer les courants d'échanges indispensables
entre pays et valoriser les complémentarités il est nécessaire de revenir à une
acception étroite du terme, et promouvoir un plurilinguisme institutionnel
limité à plusieurs grandes langues de communication internationale pour éviter
les dérives d'un monolinguisme raboteur.
Le plurilinguisme
individuel doit être encouragé mais il ne doit pas servir à pallier les
carences du plurilinguisme institutionnel. S'il est bon que tous les citoyens
des pays du monde soient exposés dès leur jeune âge à une vaste gamme de sons
et de graphies appartenant à différentes langues du monde et qui en font sa
richesse, il est clair que l'État ne peut se contenter d'encourager ses
citoyens à apprendre deux voire plusieurs langues. Savoir plusieurs langues ne
garantit pas que l'on ait quelque chose à dire dans chacune d'entre elles, ni
que l'on puisse l'énoncer clairement. La notion de langue pivot ou de langue
principale est à préserver et à cultiver au même titre que la connaissance plus
passive d'autres langues. Il n'existe pas de limites au multilinguisme pour le
cerveau humain, qui peut parvenir à se débrouiller dans plusieurs dizaines de
langues, mais la connaissance en profondeur d'une langue est nécessaire et elle
exige un travail de distanciation. Les parfaits bilingues, et a fortiori les
parfaits trilingues et les parfaits plurilingues, n'existent pas.
Le plurilinguisme
individuel ne doit pas être créateur d'une société à plusieurs vitesses: d'un
côté riches en langues et de l'autre
pauvres en langues, et entre les deux toute une gamme de
semi-connaisseurs de deux ou de plusieurs langues. La politique en faveur du
plurilinguisme, utile pour les futures élites, reste encore peu motivante au
niveau des masses (au sein desquelles, même en Europe, le nombre des illettrés
reste remarquable).
*Penser le
plurilinguisme+ doit dès lors conduire à l'appréhender dans sa totalité :
rappeler qu'il n'y a pas de démocratie sans réflexion sur le droit de
communiquer dans la langue de son choix (ce qui se traduit par des droits et
des devoirs tant au niveau individuel qu'au niveau institutionnel), développer
des connaissances pour garder ses distances à l'égard des promesses du
monolinguisme et du multilinguisme, mais aussi du plurilinguisme et du
bilinguisme mal compris, et éviter ainsi d'être le jeu des intérêts et des
idéologies. C'est aussi éviter la soumission totale à l'anglais. Or force est de
constater que les francophones, et notamment les élites françaises, ne sont pas
prêts à reconnaître pour telle l'illusion qui consiste à croire qu'il est
possible d'endiguer l'anglais, sans contester son rang de lingua franca
universelle : plus ils auront recours à l'anglais et délaisseront le français
et les autres langues, plus la fonction instrumentale de la langue anglaise
sera renforcée. Or c'est justement cette *fonction instrumentale+ qui est la
cause de son succès et de la disparition concomitante des autres langues. Le
bilinguisme anglais-français conduit au monolinguisme anglais. Le
plurilinguisme institutionnel dans les échanges internationaux introduit de
nouvelles règles du jeu et a un effet protecteur des langues.
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