lunes, 21 de abril de 2014

LE PLURILINGUISME COMME UNE OPPORTUNITE POUR FAIRE REALISER LE DROIT DE VIVRE ENSEMBLE





Un des premiers droits des hommes et des femmes est de vivre ensemble. Et pour vivre ensemble, la paix est une priorité. Nous vivons dans un monde de guerre. Mais le pire, c’est que nous n’en avons même pas conscience. Presque tous les jours, les journaux font état d’une violation de frontières, de crimes commis par une guérilla, de l’oppression ou du soulèvement d’une minorité. Beaucoup de guerres sont le résultat de la survivance de conflits et de tensions demeurés latents durant des décennies. D’autres s’expliquent par les particularités du contexte international actuel. La première catégorie de guerre est à mettre en relation avec l’émergence du communautarisme. Dans la seconde catégorie, certaines guerres sont la conséquence du renforcement d’un monde soi-disant unifié, « globalisé ». En tout cas, en toile de fond de toutes les guerres se trouve l’absence de reconnaissance de l’autre comme un sujet qui a le droit de vivre et de se développer, d’un autre avec lequel on peut vivre ensemble. De plus en plus, nous sommes face à un monde perçu à la fois comme unitaire et fragmenté, désagrégé, fait de groupes humains aux identités multiples qui s’épanouissent parallèlement et aspirent à la « tolérance » plutôt qu’à la reconnaissance de l’autre et donc à l’enrichissement mutuel.

On assiste à une refonte de l’État. Beaucoup s’affaiblissent selon des processus très variés. Parmi ceux-là quelques-uns se divisent, d’autres se réunifient. D’autres commencent à envisager des formes inédites de réorganisation territoriale, comme la Colombie qui transforme les groupes guérilleros en coadministrateurs de la chose publique. D’autres encore choisissent des alternatives moins déchirantes, mais dont l’impact est tout aussi fort. L’Espagne assume avec ferveur le rôle politique des provinces autonomes ainsi que le droit de ses peuples à enseigner et étudier dans leur propre langue alors que pendant des années celles-ci ont été oubliées et se sont appauvries : le basque, le catalan ou le galicien. Dans la plupart de ces cas, le processus de construction de l’identité individuelle fait intervenir la référence à la communauté. Parfois, dans ce processus, la communauté semble même être le référent unique, privilégié, voire exclusif, de construction de cette identité.

Si nous envisagions cette tendance à l’extrême et, dans un grand nombre de pays, nous pourrions aller jusqu’à hasarder que, pour préserver l’unité, on peut en arriver à ne garder que l’anglais. Non pas l’anglais comme moyen d’accéder aux traditions politiques ou aux manifestations culturelles des peuples qui l’ont construit, ni comme moyen de renforcer la capacité de compréhension de leur propre syntaxe communicative par comparaison avec d’autres, mais l’anglais de la raison instrumentale dissocié de tout processus de subjectivisation. L’anglais du marché international, de l’expression de quelques formes dynamiques de production de connaissance dans quelques domaines clés.

La défense du droit à l’identité communautaire, d’une part, et la présence de l’économie et de la technologie globales comme forces dominantes avec leurs lois et leurs règles propres, d’autre part, agissent dans certains pays comme une tenaille qui pousse vers la configuration d’un modèle de promotion d’un bilinguisme orienté vers la reconnaissance et l’approfondissement de l’apprentissage à la fois d’une langue communautaire et d’une langue instrumentale ; parfois en conquérant une partie de l’espace curriculaire auparavant fortement consacré à l’enseignement de la seule langue ou d’une deuxième langue nationale.

Les deux bras de la tenaille ne sont pas eux-mêmes contestables. Après des années d’acculturation des peuples indigènes d’Amérique latine et de progrès certains qui démontrent que l’accès aux formes supérieures de la pensée et à la langue nationale est facilité s’il passe par la langue maternelle, il serait réducteur de postuler l’abandon des efforts des autorités publiques qui prétendent octroyer aux langues vernaculaires une place dans le système scolaire. Et face à l’existence incontestable d’une économie et d’une technologie globalisées, il serait en même temps suicidaire de suggérer que l’on puisse refuser à des enfants et des jeunes du XXe siècle la possibilité d’apprendre l’anglais pour la communication internationale.

Par conséquent, la question qu’il convient de se poser est de savoir si une politique orientée volontairement ou par défaut vers la promotion du bilinguisme, tel que je l’ai exposé ci-dessus, est ce qui convient de mieux pour réaliser les droits des femmes et des hommes. Ma réponse est non. Parce que le bilinguisme vers lequel s’orientent plus ou moins consciemment les politiques éducatives de nombreux pays renforce une double dépendance de la tradition communautaire, du marché et des techniques qui autorise seulement l’épanouissement des producteurs et des consommateurs et non pas le développement complet des citoyens.

Cette double dépendance empêche, ou tout du moins limite, la possibilité de transformer ce monde de guerres et d’inégalités en un monde de paix. Avec le bilinguisme des langues communautaires et de l’anglais du marché et de la technique, les seules choses communicables seraient les règles de production et de circulation des biens du capital et de l’information. Mais pas la multiplicité des expériences vécues dans la diversité des cultures existantes. Pas les sentiments et les émotions des autres communautés. Pas les pratiques d’organisation collective envisagées depuis une multitude de perspectives. Pas les formes et les limites des réalisations des droits des hommes et des femmes dans des conditions différentes.


C’est pour cela qu’il paraît nécessaire de plaider en faveur de la permanence et de l’approfondissement des politiques publiques qui œuvrent pour la promotion du multilinguisme, c’est-à-dire pour la promotion de la présence d’une multiplicité de langues dans le cadre des contenus de l’éducation. Il s’agit donc de promouvoir le multilinguisme comme affirmation humaniste. Dans ce multilinguisme, il s’agit aussi de concevoir l’enseignement des langues nationales, non pas contre l’enseignement des langues communautaires ou de l’anglais, mais comme une stratégie qui permette aux individus de disposer de davantage de moyens pour créer des passerelles entre les communautés et la culture mondiale et pour livrer les batailles internes contre le mépris des autres, qu’ils soient étrangers ou simplement différents au sein d’un même pays.

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