lunes, 21 de abril de 2014

CRITÈRES PÉDAGOGIQUES ET DIDACTIQUES POUR LA FERTILITÉ FORMATIVE DE L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES ÉTRANGÈRES


Nous visitons souvent des écoles. Au cours de ces visites, nous avons souvent pu assister à des cours de langue étrangère. Chaque fois, nous sommes témoins de stéréotypes classiques. Les Français sont sensibles, fins et élégants. Les Allemands sont rigoureux, méthodiques et ordonnés. Les Anglais sont courtois et ponctuels. Les Italiens sont impulsifs et font de bons amants.

Les livres à partir desquels les Argentins ont appris le français au cours de leur scolarisation dans les établissements destinés à la formation des élites montraient le plan de Paris, la vie quotidienne d’une famille parisienne et comment aller de l’Arc de Triomphe à la Tour Eiffel. Les adultes qui parlent français ont lu Molière, Balzac et d’autres classiques de la littérature française avant leurs dix-sept ans. Mais ils n’ont jamais rien appris sur les invasions napoléoniennes, le rôle de la France en Afrique - et encore moins en Amérique -, l’existence du Québec et sa situation particulière dans la Confédération canadienne, la trajectoire du nationalisme français et ses relations avec la politique latino-américaine dans les années vingt, la question algérienne contemporaine et les tensions sociales de l’après-guerre. Le français que l’on enseignait et enseigne encore dans les collèges transpirait le stéréotype, la naphtaline, le mensonge et le secret.

Quand les élites voyagent en France, elles découvrent les différences entre les stéréotypes et la réalité : il y a des Français cultivés – la minorité – et d’autres qui n’ont jamais lu ni Molière ni Balzac ; la ville est à la fois dorée et grise ; dans le métro, il y a beaucoup d’Arabes et d’Africains. Et, après tant d’années d’études, ils ne savent même pas pourquoi.

La même chose, si ce n’est pire, s’est produite avec l’anglais. Ce n’est ni Balzac ni Molière, mais Shakespeare. Par contre, aujourd’hui dans la plupart des livres et des cours pour les couches populaires, on enseigne un vocabulaire immédiatement utilisable : tableau, gomme, maître, élève. Il est difficile d’évaluer si c’est mieux.

En tout cas, l’expérience des élites n’est pas la pire. Elles baragouinent dans les deux langues des phrases curieuses où se mêlent des expressions empruntées au vocabulaire du XVIIe siècle mais aussi du XXe siècle sur des thèmes propres à la grande culture, inappropriés, pour mettre en évidence ce qui est bien en France, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Elles n’ont pas aujourd’hui perdu leur temps. Mais j’ai pu constater, alors que j’étais à la recherche de solutions alternatives, que de nombreux jeunes issus d’établissements publics d’enseignement ne savent, au terme d’au moins 240 heures d’apprentissage d’une langue étrangère, au cours des trois ou quatre ans de collège, ni répondre au téléphone, ni dire au revoir.

Il y a sûrement beaucoup d’explications à donner qui mettent en évidence les mauvaises conditions d’enseignement dans un certain nombre d’établissements et, surtout, dans les établissements publics destinés aux couches populaires des pays latino-américains. De mauvaises conditions d’enseignement sont à l’origine des problèmes détectés ainsi que d’autres problèmes encore plus graves. On peut parler d’un modèle d’établissement éducatif balkanisé et rigide dans lequel il y a peu, ou pas du tout, de matériel pédagogique à la disposition des enseignants, des salaires de misère et une formation médiocre du corps enseignant. Cependant il est possible qu’il y ait aussi des choses à revoir dans la sélection des contenus et dans la manière d’enseigner.

J’essaierai de présenter quatre critères qui permettent de faire de l’enseignement des langues étrangères à l’école l’instrument d’une politique éducative pour la promotion du plurilinguisme, comme une stratégie pour la citoyenneté et non comme une représentation théâtrale du temps perdu ou l’acquisition d’un vernis pour montrer qu’on est « de la haute », qu’on a de la « distinction ».

D’abord, à travers l’apprentissage d’une langue étrangère, les enfants et les jeunes peuvent découvrir que dans le monde il y a d’autres personnes qui parlent, sentent, pensent et agissent différemment. Il s’agit de faire découvrir aux enfants et aux jeunes que ces « autres » ne sont pas des stéréotypes de personnes tout à fait bonnes ou tout à fait mauvaises, et qu’ils ne font pas partie d’un ensemble homogène, charmant et épargné de tout confit. Ces « autres » sont des êtres humains en constante interaction, avec leurs productions sociales, artificielles et symboliques. Ils font partie d’une culture avec ses grandeurs et ses décadences. Et cette culture change de sens selon la lorgnette à travers laquelle on la regarde ou l’endroit à partir duquel on l’observe. Mais, par ailleurs, les enfants et les jeunes apprennent une langue en tant qu’enfants ou jeunes. Ils ne l’apprennent pas comme adultes. Ils font partie d’une communauté et de ce marché globalisé.

C’est pour cette raison que le second critère est que les enfants et les jeunes puissent retrouver dans les autres des éléments de leur moi, de leur moi tel qu’il est vraiment. S’interroge-t-on, quand on enseigne les langues étrangères, sur le sens que revêt ce que l’on propose de lire ou de raconter pour ceux que l’on place dans cette situation ? Proposons-nous des contenus sur l’éclatement des familles, la drogue, l’oisiveté et la construction de l’identité sexuelle des jeunes dont nous étudions la langue ? Parlons-nous des conflits résultant des inégalités, de la crise de la représentativité que traversent la politique et les institutions, de la violence de l’état, de la guerre, des nouvelles manifestations religieuses ? Autrement dit, proposons-nous des contenus qui aident l’enfant ou le jeune pendant son apprentissage de la langue étrangère à rencontrer l’autre ?

Enfin, facilitons-nous la construction d’un « nous » multilingue et pardessus tout multiculturel et divers à la fois ? A certains niveaux on sait que tout ce qui se passe actuellement dans le monde a quelque chose à voir avec autre chose qui a lieu à des milliers de kilomètres de là. Ainsi le troisième critère est que l’enseignement des langues étrangères fait partie d’une quête d’un « nous » qui dépasse le champ de la communauté de résidence et de référence et qui permet de répersonnaliser le contexte global unilatéralement représenté et vécu comme un marché. Il y a des « autres » égaux mais différents. Proposons-nous comme des contenus les techniques communautaires pour faire des recherches comparatives : « vivre à côté de et tolérer », « lutter contre » ou/et « vivre à côté de et tolérer » ?

Ce que j’ai exposé jusqu’à présent est étroitement lié au choix des thèmes et des problèmes de conversation. Parce qu’à mon avis l’enseignement d’une langue étrangère devrait être avant tout ceci : une grande opportunité de dialogue. Et ceci correspond au quatrième critère : l’enseignement d’une langue étrangère entendue comme une grande opportunité de dialogue passe par la capacité de combiner la mémoire, la raison, le plaisir et l’émotion, afin qu’il y ait en même temps une formation rigoureuse et un espace réservé à la recréation à travers la création des éléments de la propre culture communautaire et nationale et des cultures des langues apprises.


C’est seulement de cette manière que l’enseignement des langues étrangères sera plus efficace et atteindra ces objectifs qui valent vraiment la peine : rencontrer l’autre, nous retrouver dans l’autre et nous rencontrer tous dans un monde qui de cette manière aura plus de chance - mais hélas point la garantie - d’être plus pacifique et, en même temps, plus équitable et plus divers. Si l’on peut montrer et démontrer cela, peut être aura-t-on la chance de maintenir et d’approfondir les contenus de plusieurs langues nationales dans les écoles des différents pays pour développer la compétence d’être plurilingue. Parce qu’être plurilingue est l’une des conditions au développement du droit à une vraie citoyenneté, c’est-à-dire à une citoyenneté à quatre niveaux : communauté, nation, échanges entres les nations, dans le monde globalisé.

LE PLURILINGUISME ET LES INEGALITES ENTRE LES PAYS


Nous vivons dans un monde où les inégalités augmentent et, dans ces conditions, les langues nationales autres que l’anglais tendent dans la majorité des pays, en particulier en Amérique latine, à être confinées dans le rôle de reproduction des avantages comparatifs préexistants ou de la consommation somptuaire en apparence.

En Europe, il y a des pays où les langues étrangères nationales occupent dans l’enseignement secondaire entre 17 et 26 % du temps scolaire (Pays-Bas, Allemagne). Dans quelques uns, les contenus des langues étrangères nationales prennent plus de temps que les contenus de mathématiques et de sciences. Mais en Amérique latine, seuls 8 à 9 % du temps scolaire sont consacrés à l’enseignement des langues étrangères. La différence est beaucoup plus importante qu’il n’y paraît parce que le temps total disponible est très différent. À la fin de neuf années de scolarisation, les jeunes d’Argentine ou du Mexique ont eu 6 580 ou 6 600 heures de classe ; en Allemagne 7 080 heures ; en France 8 400 et aux Pays-Bas 9 700.

Le manque de temps scolaire, la pression des communautés et les difficultés à créer des alternatives par l’utilisation des nouvelles technologies conduisent les pays vers le bilinguisme pauvre. En Argentine, par exemple la population est de 35 millions d’habitants. Les communautés indiennes comptent près de 300 000 personnes. Ces dernières ont demandé et obtenu, pour la première fois, la possibilité d’apprendre leurs langues à l’école : le wichi, le Toba, l’araucan et le mapuche.

Parallèlement la plus importante province du pays a décidé, pour l’enseignement des langues étrangères, de n’autoriser et de ne financer dans les écoles publiques que l’anglais. Les autorités ont décidé de « recycler » les professeurs de français et d’italien et de leur faire enseigner l’espagnol. Un long processus de consensus a été nécessaire entre les ministères de l’Éducation des vingt-quatre provinces du pays pour éviter la généralisation de cette politique dans tous le pays. Les négociations ont conduit au postulat suivant : tout le monde doit avoir la chance d’apprendre à l’école trois niveaux de 240 heures d’une langue autre que la langue nationale. L’un de ces niveaux doit être l’anglais pour la communication internationale ; les autres peuvent être les langues indigènes, ou bien un approfondissement de l’anglais, ou bien encore d’autres langues étrangères dont le choix ne se limiterait pas au français ou à l’italien comme dans le passé.


La politique menée par la province en question était liée aux élections : selon les sondages, les électeurs attendaient de l’école qu’elle se concentre sur un enseignement « anglais et informatique ». Pas de sciences, pas de plurilinguisme, pas de sports, pas d’arts. Pourquoi ? Les raisons sont nombreuses, je n’en reprendrai qu’une : le problème de modèle pédagogique d’enseignement des langues étrangères dans les écoles secondaires.

LE PLURILINGUISME COMME UNE OPPORTUNITE POUR FAIRE REALISER LE DROIT DE VIVRE ENSEMBLE





Un des premiers droits des hommes et des femmes est de vivre ensemble. Et pour vivre ensemble, la paix est une priorité. Nous vivons dans un monde de guerre. Mais le pire, c’est que nous n’en avons même pas conscience. Presque tous les jours, les journaux font état d’une violation de frontières, de crimes commis par une guérilla, de l’oppression ou du soulèvement d’une minorité. Beaucoup de guerres sont le résultat de la survivance de conflits et de tensions demeurés latents durant des décennies. D’autres s’expliquent par les particularités du contexte international actuel. La première catégorie de guerre est à mettre en relation avec l’émergence du communautarisme. Dans la seconde catégorie, certaines guerres sont la conséquence du renforcement d’un monde soi-disant unifié, « globalisé ». En tout cas, en toile de fond de toutes les guerres se trouve l’absence de reconnaissance de l’autre comme un sujet qui a le droit de vivre et de se développer, d’un autre avec lequel on peut vivre ensemble. De plus en plus, nous sommes face à un monde perçu à la fois comme unitaire et fragmenté, désagrégé, fait de groupes humains aux identités multiples qui s’épanouissent parallèlement et aspirent à la « tolérance » plutôt qu’à la reconnaissance de l’autre et donc à l’enrichissement mutuel.

On assiste à une refonte de l’État. Beaucoup s’affaiblissent selon des processus très variés. Parmi ceux-là quelques-uns se divisent, d’autres se réunifient. D’autres commencent à envisager des formes inédites de réorganisation territoriale, comme la Colombie qui transforme les groupes guérilleros en coadministrateurs de la chose publique. D’autres encore choisissent des alternatives moins déchirantes, mais dont l’impact est tout aussi fort. L’Espagne assume avec ferveur le rôle politique des provinces autonomes ainsi que le droit de ses peuples à enseigner et étudier dans leur propre langue alors que pendant des années celles-ci ont été oubliées et se sont appauvries : le basque, le catalan ou le galicien. Dans la plupart de ces cas, le processus de construction de l’identité individuelle fait intervenir la référence à la communauté. Parfois, dans ce processus, la communauté semble même être le référent unique, privilégié, voire exclusif, de construction de cette identité.

Si nous envisagions cette tendance à l’extrême et, dans un grand nombre de pays, nous pourrions aller jusqu’à hasarder que, pour préserver l’unité, on peut en arriver à ne garder que l’anglais. Non pas l’anglais comme moyen d’accéder aux traditions politiques ou aux manifestations culturelles des peuples qui l’ont construit, ni comme moyen de renforcer la capacité de compréhension de leur propre syntaxe communicative par comparaison avec d’autres, mais l’anglais de la raison instrumentale dissocié de tout processus de subjectivisation. L’anglais du marché international, de l’expression de quelques formes dynamiques de production de connaissance dans quelques domaines clés.

La défense du droit à l’identité communautaire, d’une part, et la présence de l’économie et de la technologie globales comme forces dominantes avec leurs lois et leurs règles propres, d’autre part, agissent dans certains pays comme une tenaille qui pousse vers la configuration d’un modèle de promotion d’un bilinguisme orienté vers la reconnaissance et l’approfondissement de l’apprentissage à la fois d’une langue communautaire et d’une langue instrumentale ; parfois en conquérant une partie de l’espace curriculaire auparavant fortement consacré à l’enseignement de la seule langue ou d’une deuxième langue nationale.

Les deux bras de la tenaille ne sont pas eux-mêmes contestables. Après des années d’acculturation des peuples indigènes d’Amérique latine et de progrès certains qui démontrent que l’accès aux formes supérieures de la pensée et à la langue nationale est facilité s’il passe par la langue maternelle, il serait réducteur de postuler l’abandon des efforts des autorités publiques qui prétendent octroyer aux langues vernaculaires une place dans le système scolaire. Et face à l’existence incontestable d’une économie et d’une technologie globalisées, il serait en même temps suicidaire de suggérer que l’on puisse refuser à des enfants et des jeunes du XXe siècle la possibilité d’apprendre l’anglais pour la communication internationale.

Par conséquent, la question qu’il convient de se poser est de savoir si une politique orientée volontairement ou par défaut vers la promotion du bilinguisme, tel que je l’ai exposé ci-dessus, est ce qui convient de mieux pour réaliser les droits des femmes et des hommes. Ma réponse est non. Parce que le bilinguisme vers lequel s’orientent plus ou moins consciemment les politiques éducatives de nombreux pays renforce une double dépendance de la tradition communautaire, du marché et des techniques qui autorise seulement l’épanouissement des producteurs et des consommateurs et non pas le développement complet des citoyens.

Cette double dépendance empêche, ou tout du moins limite, la possibilité de transformer ce monde de guerres et d’inégalités en un monde de paix. Avec le bilinguisme des langues communautaires et de l’anglais du marché et de la technique, les seules choses communicables seraient les règles de production et de circulation des biens du capital et de l’information. Mais pas la multiplicité des expériences vécues dans la diversité des cultures existantes. Pas les sentiments et les émotions des autres communautés. Pas les pratiques d’organisation collective envisagées depuis une multitude de perspectives. Pas les formes et les limites des réalisations des droits des hommes et des femmes dans des conditions différentes.


C’est pour cela qu’il paraît nécessaire de plaider en faveur de la permanence et de l’approfondissement des politiques publiques qui œuvrent pour la promotion du multilinguisme, c’est-à-dire pour la promotion de la présence d’une multiplicité de langues dans le cadre des contenus de l’éducation. Il s’agit donc de promouvoir le multilinguisme comme affirmation humaniste. Dans ce multilinguisme, il s’agit aussi de concevoir l’enseignement des langues nationales, non pas contre l’enseignement des langues communautaires ou de l’anglais, mais comme une stratégie qui permette aux individus de disposer de davantage de moyens pour créer des passerelles entre les communautés et la culture mondiale et pour livrer les batailles internes contre le mépris des autres, qu’ils soient étrangers ou simplement différents au sein d’un même pays.

LES FINALITES DU PLURILINGUISME


Le plurilinguisme dans son acception large, le multilinguisme, est une tentative de réhabilitation de la dimension culturelle du développement. Il est un outil de démocratisation des relations internationales, et des relations intranationales, et constitue à ce titre une force mondiale, tant il est vrai que le débat sur la domination culturelle de l'Occident dans le monde ne pourra être tranché sans une participation offensive et positive au dialogue mondial de toutes les cultures dans toutes les langues, en tirant parti des possibilités offertes par les technologies nouvelles. Mais pour créer les courants d'échanges indispensables entre pays et valoriser les complémentarités il est nécessaire de revenir à une acception étroite du terme, et promouvoir un plurilinguisme institutionnel limité à plusieurs grandes langues de communication internationale pour éviter les dérives d'un monolinguisme raboteur.

Le plurilinguisme individuel doit être encouragé mais il ne doit pas servir à pallier les carences du plurilinguisme institutionnel. S'il est bon que tous les citoyens des pays du monde soient exposés dès leur jeune âge à une vaste gamme de sons et de graphies appartenant à différentes langues du monde et qui en font sa richesse, il est clair que l'État ne peut se contenter d'encourager ses citoyens à apprendre deux voire plusieurs langues. Savoir plusieurs langues ne garantit pas que l'on ait quelque chose à dire dans chacune d'entre elles, ni que l'on puisse l'énoncer clairement. La notion de langue pivot ou de langue principale est à préserver et à cultiver au même titre que la connaissance plus passive d'autres langues. Il n'existe pas de limites au multilinguisme pour le cerveau humain, qui peut parvenir à se débrouiller dans plusieurs dizaines de langues, mais la connaissance en profondeur d'une langue est nécessaire et elle exige un travail de distanciation. Les parfaits bilingues, et a fortiori les parfaits trilingues et les parfaits plurilingues, n'existent pas.

Le plurilinguisme individuel ne doit pas être créateur d'une société à plusieurs vitesses: d'un côté riches en langues et de l'autre  pauvres en langues, et entre les deux toute une gamme de semi-connaisseurs de deux ou de plusieurs langues. La politique en faveur du plurilinguisme, utile pour les futures élites, reste encore peu motivante au niveau des masses (au sein desquelles, même en Europe, le nombre des illettrés reste remarquable).


*Penser le plurilinguisme+ doit dès lors conduire à l'appréhender dans sa totalité : rappeler qu'il n'y a pas de démocratie sans réflexion sur le droit de communiquer dans la langue de son choix (ce qui se traduit par des droits et des devoirs tant au niveau individuel qu'au niveau institutionnel), développer des connaissances pour garder ses distances à l'égard des promesses du monolinguisme et du multilinguisme, mais aussi du plurilinguisme et du bilinguisme mal compris, et éviter ainsi d'être le jeu des intérêts et des idéologies. C'est aussi éviter la soumission totale à l'anglais. Or force est de constater que les francophones, et notamment les élites françaises, ne sont pas prêts à reconnaître pour telle l'illusion qui consiste à croire qu'il est possible d'endiguer l'anglais, sans contester son rang de lingua franca universelle : plus ils auront recours à l'anglais et délaisseront le français et les autres langues, plus la fonction instrumentale de la langue anglaise sera renforcée. Or c'est justement cette *fonction instrumentale+ qui est la cause de son succès et de la disparition concomitante des autres langues. Le bilinguisme anglais-français conduit au monolinguisme anglais. Le plurilinguisme institutionnel dans les échanges internationaux introduit de nouvelles règles du jeu et a un effet protecteur des langues.

PLURILINGUISME ET MULTILINGUISME


"Ces dernières années, le concept de plurilinguisme a pris de l’importance dans l’approche qu’a le Conseil de l’Europe de l’apprentissage des langues. On distingue le « plurilinguisme » du « multilinguisme » qui est la connaissance d’un certain nombre de langues ou la coexistence de langues différentes dans une société donnée. On peut arriver au multilinguisme simplement en diversifiant l’offre de langues dans une école ou un système éducatif donnés, ou en encourageant les élèves à étudier plus d’une langue étrangère, ou en réduisant la place dominante de l’anglais dans la communication internationale.

Bien au-delà,l’approche plurilingue met l’accent sur le fait que, au fur et à mesure que l’expérience langagière d’un individu dans son contexte culturel s’étend de la langue familiale à celle du groupe social puis à celle d’autres groupes (que ce soit par apprentissage scolaire ou sur le tas), il/elle ne classe pas ces langues et ces cultures dans des compartiments séparés mais construit plutôt une compétence communicative à laquelle contribuent toute connaissance et toute expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation et interagissent.

 Dans des situations différentes, un locuteur peut faire appel avec souplesse aux différentes parties de cette compétence pour entrer efficacement en communication avec un interlocuteur donné. Des partenaires peuvent, par exemple, passer d’une langue ou d’un dialecte à l’autre, chacun exploitant la capacité de l’un et de l’autre pour s’exprimer dans une langue et comprendre l’autre. D’aucun peut faire appel à sa connaissance de différentes langues pour comprendre un texte écrit, voire oral, dans une langue a priori « inconnue », en reconnaissant des mots déguisés mais appartenant à un stock international commun.

 Ceux qui ont une connaissance, même faible, peuvent aider ceux qui n’en ont aucune à communiquer par la médiation entre individus qui n’ont aucune langue en commun. En l’absence d’un médiateur, ces personnes peuvent toutefois parvenir à un certain niveau de communication en mettant en jeu tout leur outillage langagier, en essayant des expressions possibles en différents dialectes ou langues, en exploitant le paralinguistique (mimique, geste, mime, etc.) et en simplifiant radicalement leur usage de la langue.


De ce point de vue, le but de l’enseignement des langues se trouve profondément modifié. Il ne s’agit plus simplement d’acquérir la « maîtrise » d’une, deux, voire même trois langues, chacune de son côté, avec le « locuteur natif idéal » comme ultime modèle. Le but est de développer un répertoire langagier dans lequel toutes les capacités linguistiques trouvent leur place."

POLITIQUE LINGUISTIQUE EDUCATIVE DU CONSEIL DE L’EUROPE


Le Conseil de l’Europe mène ses activités de promotion de la diversité linguistique et de l’apprentissage des langues dans le domaine de l’éducation dans le cadre de la Convention culturelle européenne, ouverte à la signature le 19 décembre 1954.

L’article 2 de cette Convention appelle les états signataires à promouvoir l’enseignement et l’apprentissage de leurs langues réciproques.

Chaque Partie contractante, dans la mesure du possible,
                                                  
a. encouragera chez ses nationaux l'étude des langues, de l'histoire et de la civilisation des autres Parties contractantes, et offrira à ces dernières sur son territoire des facilités en vue de développer semblables études, et

b. s'efforcera de développer l'étude de sa langue ou de ses langues, de son histoire et de sa civilisation sur le territoire des autres Parties contractantes et d'offrir aux nationaux de ces dernières la possibilité de poursuivre semblables études sur son territoire.

C’est dans l’esprit de cet article, et en réponse aux évolutions des besoins et des priorités des Etats membres, que se développent, sur cinq décennies, les activités du Conseil de l’Europe dans le domaine de la politique linguistique éducative. Le Conseil promeut des politiques visant à renforcer la diversité et les droits linguistiques, approfondir la compréhension mutuelle, consolider la citoyenneté démocratique et maintenir la cohésion sociale.

Les politiques linguistiques du Conseil de l’Europe ont pour objectif de promouvoir :

· LE PLURILINGUISME : tous les citoyens européens ont le droit d’acquérir un niveau de compétence communicative dans plusieurs langues, et ce, tout au long de leur vie, en fonction de leurs besoins

· LA DIVERSITE LINGUISTIQUE : L’Europe est un continent multilingue et toutes ses langues ont la même valeur en tant que moyens de communication et d’expression d’une identité. Les Conventions du Conseil de l’Europe garantissent le droit d’utiliser et d’apprendre des langues

· LA COMPREHENSION MUTUELLE : La communication interculturelle et l’acceptation des différences culturelles reposent fortement sur la possibilité d’apprendre d’autres langues

· LA CITOYENNETE DEMOCRATIQUE : la participation aux processus démocratique et social dans des sociétés multilingues est facilitée par la compétence plurilingue de chaque citoyen

· LA COHESION SOCIALE : l’égalité des chances en matière de développement personnel, d’éducation, d’emploi, de mobilité, d’accès à l’information et d’enrichissement culturel dépend de la possibilité d’apprendre des langues tout au long de la vie

Des politiques en faveur du plurilinguisme

L’approche initiale des projets du Conseil de l’Europe, consistant à encourager l’acquisition d’un bon niveau de compétences communicatives, était motivée par la multiplication des possibilités d’interaction et de mobilité en Europe. Cette approche reste d’actualité. Toutefois, la mondialisation et l’internationalisation posent de nouveaux défis du point de vue de la cohésion sociale et de l’intégration. Si les compétences linguistiques des citoyens restent un critère important en matière d’emploi et de mobilité, elles sont également nécessaires pour participer activement aux processus social et politique, qui font partie intégrante de la citoyenneté démocratique dans les sociétés multilingues des Etats membres du Conseil de l’Europe.

Cet intérêt croissant pour des politiques linguistiques visant à renforcer la citoyenneté démocratique et la cohésion sociale traduit bien la priorité que le Conseil de l’Europe accorde à l’éducation pour la citoyenneté et le dialogue interculturel au XXIème siècle. Il se retrouve dans le domaine de l’éducation, dont l’objectif est de former des citoyens plurilingues et interculturels, capables d’interagir dans plusieurs langues, au-delà des frontières linguistiques et culturelles.

- le «multilinguisme» renvoie à la présence, dans une zone géographique déterminée – quelle que soit sa taille – à plus d’une «variété de langues», c’est-à-dire de façons de parler d’un groupe social, que celles-ci soient officiellement reconnues en tant que langues ou non. À l’intérieur d’une telle zone géographique, chaque individu peut être monolingue et ne parler que sa propre variété de langue ;

- le «plurilinguisme» se rapporte au répertoire de langues utilisées par un individu ; il est donc, en un sens, le contraire du multilinguisme. Ce répertoire englobe la variété de langue considérée comme «langue maternelle» ou «première langue», ainsi que toute autre langue ou variété de langue, dont le nombre peut être illimité. Ainsi, certaines zones géographiques multilingues peuvent être peuplées à la fois de personnes monolingues et de personnes plurilingues.

Le Conseil de l’Europe accorde une importance particulière au développement du plurilinguisme, c’est-à-dire à l’enrichissement du répertoire plurilingue d’une personne tout au long de la vie. Ce répertoire, composé de plusieurs langues ou variétés de langues maîtrisées à différents niveaux, fait appel à plusieurs types de compétences. Il est dynamique et évolue tout au long de la vie de la personne.

L’utilisation et le développement des compétences plurilingues sont possibles car une personne n’apprend pas chaque langue séparément ; elle peut subir l’influence de différentes langues dans le processus d’apprentissage ou lors de leur utilisation en situation de communication. Les systèmes d’éducation doivent garantir un développement harmonieux des compétences plurilingues des apprenants grâce à une approche cohérente, transversale et intégrée, prenant en compte toutes les langues du répertoire d’un apprenant plurilingue, ainsi que leurs fonctions respectives. Cette démarche doit donc encourager la prise de conscience, chez les apprenants, de leurs répertoires existants et de leur capacité à développer et à modifier ces répertoires en fonction des circonstances.

Une personne plurilingue possède :
- un répertoire de langues et de variétés linguistiques
- des compétences de nature et de niveau différents selon les langues

L’éducation plurilingue encourage :
- la prise de conscience du pourquoi et du comment on apprend les langues choisies
- la prise de conscience de compétences transposables et la capacité à les réutiliser dans l’apprentissage des langues
- le respect du plurilinguisme d’autrui et la reconnaissance des langues et de leurs variétés, quelle que soit l’image qu’elles ont dans la société
- le respect des cultures inhérentes aux langues et de l’identité culturelle d’autrui
- la capacité à percevoir et à assurer le lien entre les langues et les cultures

- une approche globale intégrée de l’éducation linguistique dans les curricula

QUELS SENS DONNENT AU MULTILINGUISME ET AU PLURILINGUISME DANS LE CADRE DE L’UNION EUROPEENNE ?


Ces notions, leurs différences et leur complémentarité amènent des politiques différentes, en particulier en ce qui concerne l’enseignement des langues en Europe.

Depuis la signature de la Charte des droits fondamentaux en 2000 jusqu’au guide concernant l’élaboration des politiques linguistiques éducatives, ces termes apparaissent et sont de plus en plus détaillés dans les textes de l’Union européenne.

i. Multilingue : se dit d’un territoire sur lequel plusieurs variétés linguistiques sont utilisées, mais tous les locuteurs n’y maîtrisent pas nécessairement ces variétés différentes.



ii. Plurilingue (compétence): capacité d’acquérir successivement et d’utiliser diverses compétences en plusieurs langues, à des degrés de maîtrise divers et pour des fonctions différentes. La finalité clé de l’éducation plurilingue est de développer cette compétence.

Plurilinguisme et multilinguisme : une conception patrimoniale de la diversité linguistique  

« Le plurilinguisme peut aussi être interprété comme principe pour la préservation de la diversité vivante des langues d'Europe, en dehors donc de la question des langues étrangères. Ainsi, on compterait plus de 220 variétés linguistiques autochtones en Europe […]. Dans ce cas, le plurilinguisme renvoie au caractère multilingue reconnu des États européens contemporains, c'est-à-dire au fait que diverses langues sont présentes dans ces espaces.

LA PROMOTION DU MULTILINGUISME AU NIVEAU INTERNATIONAL




En Europe

Le ministère des Affaires étrangères a élaboré un programme spécifique en faveur du multilinguisme et du français en Europe. Ce programme s’articule autour de deux axes :

Ø  une politique de promotion du français auprès des instances européennes : le Plan pluriannuel d’action pour le français dans l’Union européenne
Ø  une politique de promotion du plurilinguisme et du français au sein des systèmes éducatifs européens

La politique du ministère des Affaires étrangères en faveur de la promotion du plurilinguisme et du français dans les systèmes éducatifs européens s’appuie sur :

Ø  un plan de renforcement du plurilinguisme dans l’Union européenne qui vise à accompagner les partenaires de la France dans l’introduction d’une 2ème langue vivante pendant la scolarité obligatoire et de consolidation des dispositifs d’enseignement bilingue francophones dans le secondaire et le supérieur ;
Ø  l’introduction de certifications françaises telles que le Diplôme d’étude de langue française (DELF scolaire) dans les pays de l’Union européenne ;
Ø  la formation des enseignants de et en français portant notamment sur les technologies de l’information et de la communication pour l’éducation (TICE) et la valorisation du français comme langue de l’Europe.

Pouren savoir plus 

LE MULTILINGUISME EN FRANCE

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La France promeut la diversité linguistique en permettant d’apprendre un grand nombre de langues étrangères en France, tant dans son système éducatif que dans des centres de langues labellisés.

Dans le système éducatif français
Dans le système éducatif français, les langues vivantes étrangères font l’objet d’un enseignement à tous les niveaux de la scolarité (enseignement primaire, enseignement secondaire général et technologique). Si l’anglais est appris par la quasi-totalité des élèves français, l’enseignement d’un grand nombre d’autres langues vivantes et langues régionales sont proposées dans le système éducatif français.

2012 vise à renforcer l’apprentissage des langues étrangères dans toutes les classes du lycée pour qu’au terme de la scolarité, chaque lycéen maîtrise au moins deux langues vivantes.
Les cours de langue sont dispensés par groupes de compétences et la deuxième langue vivante devient obligatoire dans les classes d’enseignement général comme dans l’ensemble des séries technologiques. Les langues sont désormais évaluées au lycée à travers le cadre européen commun de référence.
Enfin, chaque établissement
 doit nouer au moins un partenariat avec un établissement étranger pour faciliter les séjours linguistiques et les échanges entre élèves français et étrangers.
Les sections internationales sont des dispositifs implantés dans les écoles, les collèges et les lycées d’enseignement général, visant à :
Ø  faciliter l’insertion d’élèves étrangers dans le système scolaire français
Ø  créer un cadre propice à l’apprentissage par les élèves français d’une langue vivante étrangère à un haut niveau.

Au lycée, les sections internationales préparent à l’option internationale du baccalauréat (OIB).


L’ALPHABETISATION DANS DES CONTEXTES MULTILINGUES


L’Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie (UIL) a intégré la promotion de l’éducation multilingue à partir de la langue maternelle dans ses grands programmes (CONFINTEA, LIFE et priorité Afrique) et la considère comme un principe directeur de l’Education pour tous et de l’apprentissage tout au long de la vie

Depuis 1953, l’UNESCO a reconnu que l’adaptation des systèmes d’éducation aux réalités complexes des sociétés plurilingues et pluriculturelles pour garantir qu’ils fournissent une éducation de qualité valorisant la diversité linguistique et culturelle et créant une cohésion sociale constitue un véritable défi.

L’enseignement multilingue à partir de la langue maternelle s’est avéré être le principe directeur résultant de plusieurs décennies de dialogues et d’accords internationaux sur le sujet. Dans un environnement multilingue, le système éducatif devrait avoir pour objectif de permettre aux apprenants de maîtriser leur langue ainsi que d’autres langues nationales et internationales. La langue maternelle est conçue comme la langue ou l’une des langues de l’environnement immédiat et de l’interaction quotidienne qui « construit » l’enfant pendant les quatre premières années de sa vie et dont il apprend la grammaire avant sa scolarisation.

L’UIL a systématiquement intégré la promotion de l’éducation multilingue à partir de la langue maternelle dans ses grands programmes (CONFINTEA, LIFE et priorité Afrique) la considérant comme un principe important pour l’Éducation pour tous et l’apprentissage tout au long de la vie.


Dans le contexte de LIFE, l’UIL et ses partenaires – l’Institut d’éducation populaire (Mali), le ministère des Enseignements secondaire et supérieur et de la Recherche scientifique du Niger, NIRANTAR (India) et SIL (Summer Institute of Linguistics, bureau Afrique, Nairobi) – élaborent actuellement un manuel de recherche-action pour la promotion de l’alphabétisation des adultes dans des contextes multilingues.

UN SYSTÈME SCOLAIRE MULTILINGUE EST-IL GAGE D’ÉQUITÉ ?

Le Luxembourg est le pays européen, avec le Liechtenstein, qui compte la plus grande proportion d’élèves étrangers. Dans l’enseignement primaire, 40% des élèves sont étrangers alors qu’ils sont près de 33% dans l’enseignement secondaire. Une majorité de ces élèves étrangers sont portugais mais l’on trouve aussi des élèves provenant de l’ex-Yougoslavie, d’Italie, de France, de Belgique et d’Allemagne principalement.

Le système scolaire luxembourgeois est donc confronté à une population hétérogène d’élèves tant sur les plans culturel que linguistique. Pour faire face à cette hétérogénéité, le Luxembourg, comme d’autres pays européens (Allemagne, Pays-Bas, Autriche et Lichtenstein), a opté pour un système à filières différenciées associé à l’orientation des élèves à l’entrée du cycle secondaire. Cette position face à la diversité des populations scolaires relève clairement d’une idéologie d’égalité des chances et suppose donc une approche objective et scientifique des procédures d’orientation.

 Parallèlement cette diversité culturelle, le système éducatif luxembourgeois se caractérise par son caractère multilingue. Les trois langues officielles, le luxembourgeois, le français et l’allemand qui font l’objet d’un apprentissage dès le plus jeune age, au début de l’enseignement primaire, sont ensuite utilisées comme langues véhiculaires d’enseignement selon les matières abordées.

 En outre, notons que le système éducatif luxembourgeois se singularise par une possibilité de redoublement à tous les niveaux de l’enseignement primaire et secondaire. Nous verrons dans cette note comment ces aspects fondamentaux du système éducatif luxembourgeois (population d’élèves hétérogène, procédure d’orientation, filières d’enseignement différenciées et redoublement) interagissent entre eux et quelles en sont les conséquences sur l’équité du système. La problématique sera abordée selon trois facettes.



La première facette concernera les causes d’attributions causales invoquées par les élèves lors de leur redoublement. La deuxième facette s’attachera à la procédure d’orientation des élèves au terme de l’enseignement primaire. Enfin, la troisième facette s’intéressera aux acquis des élèves de 15 ans dans l’enseignement secondaire à travers les résultats de l’enquête PISA 2006.

VERS UNE CHARTE DU MULTILINGUISME?

Dans les couloirs du Forum mondial de la langue française qui réunit toute la semaine à Québec plus de 1200 francophones du monde entier, une proposition revient en permanence : que la Francophonie se dote d’une déclaration en faveur du multilinguisme. L’ancien ministre de l’Éducation du Mali, Adama Samassékou, en a fait la proposition formelle, lundi en séance plénière, appelant à une « Déclaration de Québec en faveur du multilinguisme » comme la Francophonie a adopté il y a plusieurs années la Déclaration de Bamako définissant les critères de respect des droits de l’homme dans la Francophonie.

Les pays membres seraient alors tenus de respecter l’esprit de ce multilinguisme. Pour l’ancien ministre, il s’agit de s’opposer à l’unilinguisme anglais dans les relations internationales et de faire reconnaître les droits des autres grandes langues internationales, comme le français ou l’espagnol. Mais il s’agit aussi de « reconnaître que le multilinguisme est la réalité dans de nombreux pays, notamment en Afrique », dit-il.

L’adoption d’une telle déclaration est un impératif, estime le recteur de l’académie de Montpellier, Christian Philip. « Le monde du XXIe siècle sera, et est déjà, en grande partie multipolaire. Il sera donc multilingue. L’anglais demeurera important, mais on voit déjà que son monopole est contesté par les langues des pays émergents, comme le chinois ou l’espagnol. » Hier, le président de Michelin Amérique du Nord, Pete Selleck, a rappelé que, selon une étude de l’agence Bloomberg, le français demeurait la troisième langue en importance pour faire des affaires dans le monde. « Il faut prendre garde de ne pas mettre le français de côté trop rapidement », dit-il.

« Ceux qui pensent que le monde sera unilingue anglais se trompent », affirme Christian Philip. Le recteur s’élève aussi contre ces pays qui « introduisent l’anglais dès le primaire » et qui « créent des cursus uniquement en anglais à l’université ». Comme c’est d’ailleurs le cas au Québec.

Le recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie, Bernard Cerquiglini, défend cette idée depuis longtemps. Selon lui, il faut absolument briser le monopole de l’anglais dans l’étude des langues secondes. « Avec l’imposition de l’anglais, nous avons assisté à un appauvrissement des sciences partout dans le monde. L’allemand a déjà été la langue de la physique et le français celle des mathématiques. Jamais dans l’histoire, la science n’a eu une seule langue. Mais le multilinguisme sera possible si on offre aux chercheurs tous les services de traduction nécessaires. »

Selon lui, tous les pays membres de la Francophonie devraient favoriser l’étude d’au moins deux langues secondes, comme le font déjà de nombreux pays européens. « Il ne s’agit évidemment pas de nier le droit de chacun d’utiliser sa langue maternelle dans toutes les sphères de la société, mais d’éviter ce dialogue permanent avec l’anglais dès lors qu’on communique à l’étranger », dit-il.

Le premier ministre du Québec, Jean Charest, s’est prononcé ouvertement en faveur de l’adoption d’une « politique de promotion du multilinguisme » lors du prochain sommet des pays francophones qui se tiendra à Kinshasa en octobre. La question a soulevé des interrogations parmi les participants qui savent que Jean Charest est le premier ministre qui a introduit l’enseignement de l’anglais en première année du primaire et qui veut mettre en place un programme d’immersion en anglais en sixième année.

Pour se conformer aux principes du multilinguisme, le Québec devrait plutôt s’assurer que les jeunes Québécois apprennent d’autres langues secondes, comme l’espagnol. Car « le multilinguisme, c’est la fin du monopole d’une seule langue seconde », dit Bernard Cerquiglini.

Après l’adoption d’une déclaration contraignante par la Francophonie, Adama Samassékou propose que celle-ci réclame que l’UNESCO se dote d’une convention sur la diversité linguistique qui compléterait celle sur la diversité culturelle adoptée il y a quelques années. « Il faut que Québec porte ce message, dit-il. Québec n’est-elle pas la ville de la résistance ? »

VIVE LE MULTILINGUISME !


La méconnaissance des langues étrangères fait perdre chaque année au Royaume-Uni 20 milliards d'euros, soit 1,2 point de PIB, selon une récente étude du groupe de réflexion britannique Education and Employers Taskforce, dont The Times s'est fait l'écho.


Si les Britanniques manifestent peu d'intérêt pour les langues, c'est qu'ils pensent que la planète parle peu ou prou la leur. Rien n'est moins vrai : l'anglais a beau être l'une des langues dominantes, avec 1 milliard de locuteurs, il est concurrencé par le mandarin et en passe d'être devancé par l'hindi/ourdou, l'arabe et l'espagnol.

Le multilinguisme ne donne pas seulement un avantage compétitif sur les marchés. Il est aussi un vecteur de paix entre les peuples et les communautés, comme le souligne le linguiste britannique David Crystal en introduction à l'Atlas des langues du monde.

DU MULTILINGUISME EUROPEEN AU PLURILINGUISME PLANETAIRE

Plus encore que l’actuel, le monde de demain sera interconnecté. En raison de l’essor de puissances émergentes n’appartenant pas au monde occidental, il sera aussi multipolaire.Dans ce contexte, il faut se garder d’une illusion encore trop répandue quant au triomphe définitif de la langue anglaise. À l’avenir, l’anglais ne sera pas nécessairement la langue de mondialisation. 

Du moins, il ne sera pas la seule. Ainsi, il représente déjà moins de 50 % des informations disponibles sur Internet…Qu’en conclure ? D’abord que, comme on l’a vu, le multilinguisme européen constitue un atout. Ensuite que cet atout ne sera pas suffisant à assurer notre rayonnement. Pour maintenir notre rang dans le monde de demain, il faut certes préserver la diversité linguistique européenne, mais aussi mieux se préparer à la diversité linguistique planétaire.

 Dès à présent, la diversité linguistique prend de nouvelles couleurs et de nouveaux accents russes, chinois, hindis, etc. C’est aussi en apprenant à maîtriser ces langues que les Européens feront la différence. En quelque sorte, il faut passer du multilinguisme européen au plurilinguisme planétaire.

LE MULTILINGUISME COMME ATOUT DANS LA MONDIALISATION

Il ne faut cependant pas surévaluer les difficultés générées par la diversité linguistique, d’autant qu’en la matière la mondialisation rebat profondément les cartes.En effet,à mesure que les marchés s’internationalisent, la nécessité de surmonter des obstacles linguistiques devient le lot commun de tous les acteurs économiques. Face à un négociateur chinois, l’entrepreneur anglophone n’est pas plus avancé que son concurrent francophone ou lusophone. Déplorer le manque d’homogénéité linguistique du marché commun européen,revient donc,pour une large part,à raisonner sur le monde d’avant, celui dans lequel les succès économiques et commerciaux se bâtissaient sur les marchés régionaux. Or, comme on le sait, les réussites les plus éclatantes sont désormais le fait d’entreprises s’implantant aux antipodes.

Si, demain, les Européens se réveillaient soudainement en parlant tous la même langue, cela renforcerait-il notre faculté à commercer et échanger avec la Chine, l’Inde, le Brésil ou la Russie ? Cela renforcerait-il nos positions en Asie, en Amérique du Sud, en Afrique ou au Moyen-Orient ? Il est permis d’en douter. Il apparaît même que nos capacités s’en trouveraient gravement amoindries.D’une part, parce que notre expérience du multilinguisme nous donne un avantage sur ceux de nos concurrents ayant toujours vécu dans un univers monolingue.Car notre diversité culturelle nous a en quelque sorte aguerris et préparés à surmonter les barrières de langues. Grâce à l’intégration progressive des économies européennes, nos entreprises et nos cadres ont bénéficié d’un exercice salutaire avant de plonger dans le grand bain de la globalisation.Pour un cadre d’EADS, le management interculturel fait, depuis longtemps, partie du quotidien…


Cette expérience européenne de la diversité n’est pas anodine. Plus que d’autres dans le monde,les Européens ont appris à se mettre à la place de l’autre et à envisager la réalité avec des points de vue différents. Les Européens savent que les relations interculturelles nécessitent de la tolérance et du respect,mais aussi de la patience et de la prudence. Enfin, il faut aussi souligner l’évidence : les différentes langues parlées en Europe sont des passeports pour le monde. Sans même parler de l’anglais, faut-il rappeler que le français jouit d’une position prépondérante en Afrique, que l’espagnol est la langue dominante en Amérique latine, que le portugais est celle du Brésil ? Le rayonnement culturel de l’Europe et notre capacité commune d’influence résultent donc aussi de notre diversité culturelle et linguistique.

LE MULTILINGUISME COMME DÉFI COLLECTIF



 Toutefois, il ne faut pas être naïf : cette position de principe – et de bon sens – n’épuise pas la question des langues en Europe. Car toute médaille a son revers et la diversité linguistique est aussi porteuse de risques.Comme en témoignent les graves tensions communautaires qui agitent un pays pourtant réputé paisible comme la Belgique,sur notre continent aussi, les différences linguistiques peuvent susciter des conflits ou être instrumentalisées à des fins politiques.

De même au plan économique et social, le multilinguisme peut entraîner des inconvénients non négligeables. Dans un rapport de 2005 sur les “Incidences du manque de compétences linguistiques des entreprises sur l’économie européenne”, les auteurs relevaient que chaque année des milliers d’entreprises perdent des contrats et voient leur activité réduite par manque de compétences linguistiques. Selon cette étude, 11% de l’échantillon des PME sondées avaient perdu un contrat faute de maîtriser une langue étrangère. Les entreprises européennes sont parfaitement conscientes de ces réalités. Elles accordent donc une importance croissante à la maîtrise des langues dans leurs critères de recrutement. Toutefois, cette tendance comporte,en retour,des risques sociaux. Au sein d’un marché à la fois commun et multilingue, les personnes maîtrisant plusieurs langues jouissent d’un fort avantage comparatif sur le marché du travail, ce qui conduit mécaniquement à marginaliser celles qui n’en maîtrisent qu’une.

Les instances européennes sont, du reste, parfaitement conscientes de cet écueil. La Commission a ainsi lancé,en septembre 2009,une plate-forme permanente d’échanges d’idées et de bonnes pratiques sur le thème des langues dans l’entreprise. En effet, face à un tel enjeu, l’amélioration de l’apprentissage initial des langues lors du cursus scolaire ne suffit pas.Pour renforcer leurs compétences linguistiques et conjurer tout risque de discrimination surle critère des aptitudes linguistiques,les entreprises doivent également s’engager, notamment via le développement de la formation continue.


De même, pour fluidifier les échanges et permettre un meilleur accès de tous aux informations administratives mais aussi culturelles, scientifiques, économiques et sociales, il est capital de développer nos capacités communes de traduction. À défaut, “l’unité dans la diversité” qui est au cœur du projet européen resterait un songe vain. Conformément à la célèbre formule d’Umberto Eco, “la langue de l’Europe, c’est la traduction”.

LE MULTILINGUISME, HERITAGE HISTORIQUE INCONTOURNABLE

Cette multiplicité de langues peut sembler compliquée à gérer dans un espace politique commun.Mais c’est avant tout un héritage culturel impossible à refuser.Issues de l’histoire, ces langues appartenant pour la plupart à la grande famille des langues indo-européennes ont été façonnée au fil des siècles et appartiennent à notre patrimoine commun. 

Elles ne sont toutefois pas seulement un reliquat du passé mais l’expression d’une inestimable richesse culturelle se déclinant au présent. Enseignant à l’université Paris III – Sorbonne Nouvelle,Michaël Oustinoff estime ainsi qu’il faut se libérer “d’une vision purement techniciste des langues,ravalant celles-ci au rang de simples instruments interchangeables, alors que chaque langue constitue une vision du monde qui lui est propre”. 

Dès lors, la question linguistique ne peut obéir exclusivement à des considérations de rationalisation administrative. “Une lingua franca, écrit Leonard Orban, ne pourra jamais satisfaire les besoins de communication des citoyens européens.” Dès lors la voie est toute tracée : plutôt que de rêver à une hypothétique langue unique – anglais ou espéranto – mieux vaut prendre acte avec le linguiste Claude Hagège que “l’Européen devra élever ses fils et ses filles dans la variété des langues et non dans l’unité”. 

Telle est d’ailleurs la voie choisie par l’Union européenne. “La formule magique de notre cohésion, écrit encore Leonard Orban, n’est pas une langue commune qui priverait l’Europe de sa richesse culturelle et uniformiserait nos sociétés. C’est au contraire le multilinguisme, dont le respect permet à chaque culture de développer et de faire valoir sa différence, et à chaque nation, région ou communauté de préserver ses racines et traditions.”

LE MULTILINGUISME

Depuis les élargissements de 2004, l’Union européenne compte 23 langues officielles contre 11 auparavant. Le plus souvent cette croissance exponentielle des langues parlées dans l’Union est envisagée comme une difficulté voire comme un handicap. On évoque ainsi le casse-tête de la traduction au sein des instances européennes et, de façon plus convaincante, la façon dont cette diversité entrave la fluidité du marché commun européen. Il est vrai que tout serait plus simple si tout le monde parlait anglais ou plutôt “globish”… Toutefois, comme le souligne un récent ouvrage collectif consacré au thème de la traduction dans la mondialisation, cette diversité linguistique et culturelle peut aussi constituer un atout pour les Européens. En effet, dans un monde appelé à devenir de plus en plus interconnecté et multipolaire, l’expérience européenne du multilinguisme et de la multiculturalité peut aussi constituer un sérieux atout.

Les derniers élargissements de l’Europe ont aussi pris la forme d’une relative “babélisation”. Comme le souligne Leonard Orban, ancien commissaire européen au multilinguisme, “depuis le 1er mai 2004, la superficie de l’Union a augmenté d’un quart, sa population d’un cinquième, son PIB de quelque 10 %, tandis que le nombre de langues augmentait de quelque 80 %, passant de 11 à 23”. De fait, l’accroissement de la diversité linguistique de l’Union européenne est sans doute l’une des évolutions les plus remarquables engendrées par son extension géographique. “L’Union compte désormais près de 500 millions de citoyens, 27 États membres, trois alphabets et 23 langues officielles, dont certaines ont une diffusion mondiale”.

LE MULTILINGUISME DANS L'UNION EUROPÉENNE

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On entend par multilinguisme:
  Ø  l'aptitude d'une personne à communiquer dans plusieurs langues;
  Ø la coexistence de diverses communautés linguistiques dans une seule zone géographique/politique;
  Ø  le choix politique d'une institution de fonctionner avec plusieurs langues.

Le multilinguisme est une réalité dans l'Union européenne et l'un des principes fondateurs de ses institutions. La mission de la DG Traduction est de mettre ce principe en application.

LANGUE MATERNELLE +2
La promotion de l'apprentissage des langues est un élément essentiel de la politique linguistique de l'UE. L'UE encourage tout un chacun à apprendre et à parler plusieurs langues, afin de faciliter la communication et la compréhension mutuelle. Notre ambition est une Union européenne dans laquelle chaque citoyen maîtriserait au moins deux langues étrangères, en plus de sa langue maternelle.

La Commission encourage l'apprentissage d'un large éventail de langues: non seulement les langues officielles de l'UE, mais aussi les quelque 60 langues régionales et minoritaires pratiquées dans l'Union, ainsi que les nombreuses langues parlées par les communautés d’immigrés vivant en Europe